6. Caractéristique phonétique du mot français
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§ 12. Caractéristique phonétique des mots en français moderne.
Nous nous bornerons ici à noter certains traits caractérisant les mots fran¬çais quant à leur composition phonique et leur accentuation dans la chaîne parlée.1
Les mots français sont caractérisés par leur brièveté. Certains se ré¬duisent à un seul phonème. Il s'agit surtout de mots non autonomes (ai, eu, on, est, l',d` etc.), les mots autonomes à un phonème étant exclusivement rares (an, eau).
Par contre, les monosyllabes sont très nombreux dans ces deux caté¬gories de mots (le, les, des, qui, que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc.). Ces monosyllabes sont parmi les mots les plus fréquents.
L'analyse d'un certain nombre de textes suivis a permis de constater que dans le discours les mots contenant une syllabe forment environ 61% et les mots à deux syllabes forment près de 25% de l'ensemble des mots rencontrés. Cet état de choses est le résultat d'un long développement historique qui remonte à l'époque lointaine de la formation de la langue française du latin populaire (ou vulgaire). Pour la plupart les monosylla¬bes sont le résultat des nombreuses transformations phonétiques subies par les mots latins correspondants formés de deux ou trois syllabes (cf. • homme < lat homo, main < lat. manus, âme < lat. anima)
Le français possède naturellement des mots à plusieurs syllabes : toutefois il y a visiblement tendance à abréger les mots trop longs aux¬quels la langue semble répugner (métropolitain > métro, stylographe > stylo, piano-forte > piano, automobile > auto, météorologie > météo ; cf aussi avion qui s'est substitué à aéroplane,pilote àaviateur).
Comme conséquence de ce phénomène la longueur des mots au ni¬veau de la langue est de 2.5 syllabes, alors que dans la parole - de 1.35 syllabes. Ce décalage s'explique par la fréquence d'emploi des mots-outils lors du processus de communication.
La tendance à raccourcir les mots, qui s'est manifestée à toutes les époques, a pour conséquence un autre phénomène caractéristique du vo¬cabulaire français - l'homonymie. Un grand nombre de mots a coïncidé quant à la prononciation à la suite de modifications phonétiques réguliè¬res.
C'est surtout parmi les monosyllabes que l'on compte un grand nom¬bre d'homonymes ; tels sont : ver < lat. vermis, vers (subst.) < lat. Versus - « sillon, ligne, vers ». vers (prép ) < lat. versus de vertere - « tourner ». vert < lat. vendis De là de nombreuses séries d'homonymes : par, part, pars ; cher, chair, chaire ; air, ère, aire, hère, erre (if), etc À la suite de l'homonymie le mot perd de son autonomie ce qui peut amener des con¬flits homonymiques Dans son ouvrage « La sémantique » P Guiraud cite l'exemple des verbes de l'ancien français amer - « aimer » et esmer - « estimer » qui se sont confondus dans la prononciation [eme]. Cette homonymie a disparu à la suite de l'élimination de esmer au profit de son doublet savant estimer. Toutefois les distinctions sémantiques et gram¬maticales des homonymes trouvent un support dans l'orthographe (àl'ex-ception des cas d'homographie : goutte –капля , goutte –подагра . ce qui rend un service incontestable en prenant dans l'énoncé écrit une impor¬tance particulière. Grâce à l'orthographe et au contexte l'homonymie ne présente point de sérieux inconvénient ainsi que le pensent certains lin¬guistes qui qualifient ce phénomène naturel de pathologique (comme par exemple S. Ullmann). En réalité les homonymes se laissent facilement identifier et les cas de confusion dans la parole sont pratiquement réduits à zéro. Là, où la confusion est possible « il suffit de faire intervenir dans les énoncés... une modification minimale pour que leur signification se trouve précisée » [7, p. 49-50]. Ainsi en français nous avons :
« L'association des maires de France,
L'association des mères de France, etc. Or, pour échapper à l'ambi¬guïté, il suffit de dire dans le deuxième cas :
L'association des mères françaises, etc. » [7, p. 49-50].
Quant à la syllabation des mots français elle est reconnue comme étant remarquablement uniforme et simple. Ce sont les syllabes ouvertes qui forment près de 70% dans la chaîne parlée. Surtout fréquentes sont les syllabes ouvertes du type : consonne - voyelle (par exemple : [de-vi-za-ge] -dévisager, [re-pe-te] -répéter), moins nombreuses sont les syllabes des types : consonne-consonne-voyelle etvoyelle (par exemple : [ble-se] - blesser, [tru-ble] - troubler, [e-ku-te] - écouter, [a-ri-ve] - arriver). Parmi les syllabes fermées on rencontre surtout le type : consonne - voyel¬le -consonne (par exemple : [sur-nal] -journal, [par-tir] -partir}. Les autres types sont rares. Cette particularité de la structure syllabique des mots français contribue à son tour à l'homonymie.
Le mot français peut commencer par n' importe quelle consonne, tou¬tefois les semi-consonnes initiales [j], [w], [q] sont rares ; de même que le h « aspiré » (haine, haïr, haricot, haie, onze, un - nom de nombre, etc.).
On ne compte qu'un certain nombre de mots commençant par [z] (zèbre, zéro, zinc, zone, zoo), par un [jt] dans l'argot ou le langage fami¬lier (gnaule, gnognote - « niais », gnangnan (fam.) - « mou, sans éner¬gie »).
Relativement peu nombreuses aussi sont les combinaisons de conson¬nes au début du mot. Ce sont, le cas échéant, des groupes de deux conson¬nes dont le premier élément est une occlusive [p], [t], [k], [b], [d], [g] ou une spirante labiale [f], [v] suivie d'une liquide [I], [r] ou d'une semi-voyelle [w], [j], [q].
Ce sont aussi les combinaisons initiales comportant trois consonnes dont une liquide et une semi-voyelle après une occlusive : [prw], [plw], [plq], [trw], [trq], [krw], [krq], etc.
Les autres combinaisons de deux ou de trois consonnes aussi bien au début qu'à l'intérieur du mot sont rares (pneumatique, phtisie, stress, stri¬dent, strapontin, esclandre, escrime), apparaissant, comme règle, dans des mots d'emprunt.
Quant aux voyelles le français répugne aux hiatus à l'intérieur des mots (cf. : appréhender, méandre), il est exempt de diphtongues.
Notons aussi le service rendu par les phonèmes dans la distinction des vocables différents.
A. Sauvageot souligne le rôle exclusif de la consonne initiale dans la différenciation des mots. « II arrive, dit-il, qu'une même voyelle fournis¬se presque autant de vocables qu'il y a de consonnes pour la précéder : pont/ton /bon / don / gond /fond / font / vont / long / mont / nom / rond / sont /son /jonc, etc. » [7, p. 44].
La voyelle aussi a une valeur différencielle très importante. Dans le schéma consonnantique p - r selon la voyelle on a : par, part - port, porc, pore -pour -père, paire, pair-peur -pur.
Telles sont à grands traits les possibilités combinatoires des phonè¬mes français.
Dans la langue russe les mots dans la chaîne parlée sont généralement marqués de raccenttonique. ce qui facilite leur délimitation. Il en est autre¬ment pour le français où les mots phonétiquement se laissent difficilement isoler dans le discours : privés de l'accent tonique propre, ils se rallient les uns aux autres en formant une chaîne ininterrompue grâce aux liaisons et aux enchaînements. On dégage, en revanche, des groupes de mots repré¬sentant une unité de sens et qui sont appelés « groupes dynamiques ou rythmiques » avec un accent final sur la dernière voyelle du groupe.
Cette particularité de l'accentuation fait que le mot français perd de son autonomie dans la chaîne parlée. La délimitation phonétique des mots émis dans la parole en est enrayée. Ceci explique les modifications de l'aspect phonétique survenues à certains mots au cours des siècles. Les uns se sont soudés avec les mots qui les précédaient dont l'article défini : c'est ainsi que ierre est devenu lierre, endemain - lendemain, nette -luette, oriot - loriot ; / 'aboutique - la boutique, d'autres au contraire, ont subi une amputation : lacunette - « petit canal » s'est transformé en la cunette car on a pensé à l'article précédant un substantif ; de même m'amie a été perçu comme ma mie.
Toutefois il serait abusif de conclure à l'absence totale de limites entre les mots dans la chaîne parlée en français. En effet certains indices phonétiques contribuent à dégager les mots dans le discours. Ainsi, par exemple, le son [z] qui apparaît dans les liaisons signale la jointure entre deux mots. Il en est de même de l'hiatus qui, comme nous l'avons signa¬lé, est rare à l'intérieur du mot. mais assez régulier à la limite des mots [2, p. 321-322]. Un indice important est l'éventualité d'une pause en fin de mot dans la chaîne parlée [11, p. 61].
7. Caractéristique grammaticales des mots
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Caractéristique grammaticale du mot en français moder¬ne. Les unités essentielles de la langue étroitement liées l'une à l'autre sont le motet la proposition. Les mots acquièrent dans la proposition une force particulière en tant qu'éléments de la communication. C'est en se groupant en propositions d'après les règles grammaticales que les mots manifestent leur faculté d'exprimer non seulement des notions, des con¬cepts, mais des idées, des jugements. Dans la proposition les mots auto¬nomes remplissent les fonctions de différents termes, dits termes de la proposition (du sujet, du prédicat, du complément, etc.). tandis que les mots non-autonomes établissent des rapports variés entre les termes ou les parties de la proposition. La faculté de former des propositions afin d'exprimer des jugements constitue une des principales caractéristiques grammaticales des mots.
Une autre particularité du mot consiste dans son appartenance à une des parties du discours. Ainsi on distingue les substantifs, les adjectifs, les verbes, les adverbes, les pronoms, etc. Les parties du discours sont étudiées par la grammaire : elles constituent la base de la morphologie. C'est à partir des propriétés des parties du discours que la grammaire crée les règles des agencements de mots, les règles qui sont le produit d'un long travail d'abstraction de la mentalité humaine. Il serait pourtant faux de traiter les parties du discours de catégories purement grammaticales En effet, les parties du discours se distinguent les unes des autres par leur sens lexical : les substantifs désignent avant tout des objets ou des phéno¬mènes, les verbes expriment des processus, des actions ou des états : les adjectifs - des qualités, etc. C'est pourquoi il serait plus juste de qualifier les parties du discours de catégories lexico-grammaticales.
La composition morphémique des mots est aussi étudiée par la gram¬maire, pourtant elle a un intérêt considérable pour la lexicologie. La fa¬culté du mot de se décomposer en morphèmes présente une des caractéristiques grammaticales du mot qui. en particulier, le distingue du morphème. Ce dernier, étant lui-même la plus petite unité significative de la langue, ne peut être décomposé sans perte de sens. Ainsi le mot amener comporte trois morphèmes : a-men-er, mais ces derniers ne se laissent pas décomposer en plus petites unités significatives. On peut seulement en déterminer la structure phonique, en isoler les phonèmes. Les phonèmes ne possèdent point de sens propre, ils ne servent qu'à distinguer les morphèmes (cf. : amener et emmener : mener et miner : tremper et tromper : lever et laver ; cacher, cocher et coucher). Ce sont principa¬lement les mots autonomes qui se laissent décomposer en morphèmes. Quant aux mots-outils, dont beaucoup se rapprochent à certains égards des morphèmes, ils constituent généralement un tout indivisible.
Parmi les mots autonomes, il y en a de simples qui sont formés d'une seule racine. Tels sont homme, monde, terre, ciel, arbre, table, porte, chambre, etc. Ces mots pourraient être aussi appelés « mots-racines ». Plus souvent les mots contiennent une ou plusieurs racines auxquelles se joignent des affixes (les préfixes placés avant et les suffixes placés après la racine) et les terminaisons (ou) les désinences qui expriment des significations grammaticales. On distingue encore le thème (ouïe radical), c'est-à-dire la partie du mot recelant le sens lexical et précé¬dant la terminaison à valeur grammaticale. Ainsi dans l'exemple : Nous démentons formellement ces accusations, le mot démentons comprend la racine -ment-, le préfixe dé-, le thème dément-, la terminaison -ons La racine recèle le sens lexical fondamental du mot. Le thème qui com¬porte tout le sens lexical du mot s'oppose à la désinence qui est porteur d'un sens grammatical.
Dans le français moderne le thème apparaît exclusivement dans la conjugaison des verbes qui ont conservé jusqu'à présent des traits de l'ancien synthétisme, tandis que dans les nominaux, depuis la destruction du système de déclinaison, le thème ne se laisse plus dégager, il coïncide avec le mot. Les finales des substantifs et des adjectifs telles que animal - animaux, paysan - paysanne ; blanc - blanche, fin -fine ne sont plus des désinences mais de simples alternances phoniques à valeur gramma¬ticale.
Dans les travaux des linguistes français le terme « radical » s'em¬ploie encore pour désigner la partie du mot à laquelle s'applique l'un ou l'autre affixe servant à former ce mot. Pour plus de précision il serait préférable de dénommer cette partie du mot par un terme spécial. Celui de « base formative » ou simplement « base » serait plus approprié. Ainsi contrairement au thème (radical) le terme « base » sera appliqué à l'élé¬ment du mot auquel s'ajoutent l'affixe ou les affixes formant ce mot. Par exemple, dans acclimatation la base formative sera présentée par la par¬tie acclimat- à laquelle s'applique le suffixe -ation. Les bases fbrmatives peuvent être ou non en corrélation avec des mots indépendants. Elles sont respectivement appelées libres comme dans refaire, laitière, cache-nez (cf. -.faire, lait, cache, nez) et liées comme dans fracture, bibliothèque (cf. -.fraction, bibliophile, jilmothèque). À l'encontre du thème (ou radi¬cal), la base formative ne recèle guère comme règle, tout le sens lexical du mot.
Les affixes appliqués à la base peuvent tout simplement en modifier le sens. Tels sont les cas de jardinet, maisonnette, refaire. Plus souvent les rapports sémantiques entre la base et Faffixe sont plus compliqués ; dans ces derniers cas, on crée des mots qui se distinguent essentiellement par leur sens de la base formative. Ainsi le mot orangeade (f) ne désigne point une espèce d'orange, mais une boisson rafraîchissante au sirop d'orange : un poursuiteur n'est même pas une personne qui en poursuit une autre, mais plus spécialement un cycliste-spécialiste de la poursuite.
Donc, les affixes peuvent conférer aux mots qu'ils forment des sens lexicaux ; pourtant ils sont aussi des porteurs de valeurs grammaticales Ainsi, par exemple, les suffixes des substantifs ont pour rôle accessoire de marquer le genre : -et,-(e)ment, -âge forment des substantifs mascu¬lins ; -té, -ation, -ance (-ence), -ce, -ure, -ade - des substantifs féminins, etc.
Les racines, les affixes. les désinences sont des morphèmes II s'en¬suit des exemples cités que les morphèmes peuvent être porteurs de va¬leurs de caractère différent : les racines ont une valeur d'ordre lexical. les désinences - des valeurs grammaticales ; les affixes - généralement des valeurs lexico-grammaticales. Quant aux thèmes (radicaux) et aux bases formatives, le nombre des morphèmes qui les constituent est variable il va de plusieurs morphèmes (cf. : relis-ez ; déplorable-ment), à un seul. Dans ce dernier cas il y a coïncidence avec la racine du mot dont ils font partie (cf. : patin-ans, patin-aire).
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§ 12. Caractéristique phonétique des mots en français moderne.
Nous nous bornerons ici à noter certains traits caractérisant les mots fran¬çais quant à leur composition phonique et leur accentuation dans la chaîne parlée.1
Les mots français sont caractérisés par leur brièveté. Certains se ré¬duisent à un seul phonème. Il s'agit surtout de mots non autonomes (ai, eu, on, est, l',d` etc.), les mots autonomes à un phonème étant exclusivement rares (an, eau).
Par contre, les monosyllabes sont très nombreux dans ces deux caté¬gories de mots (le, les, des, qui, que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc.). Ces monosyllabes sont parmi les mots les plus fréquents.
L'analyse d'un certain nombre de textes suivis a permis de constater que dans le discours les mots contenant une syllabe forment environ 61% et les mots à deux syllabes forment près de 25% de l'ensemble des mots rencontrés. Cet état de choses est le résultat d'un long développement historique qui remonte à l'époque lointaine de la formation de la langue française du latin populaire (ou vulgaire). Pour la plupart les monosylla¬bes sont le résultat des nombreuses transformations phonétiques subies par les mots latins correspondants formés de deux ou trois syllabes (cf. • homme < lat homo, main < lat. manus, âme < lat. anima)
Le français possède naturellement des mots à plusieurs syllabes : toutefois il y a visiblement tendance à abréger les mots trop longs aux¬quels la langue semble répugner (métropolitain > métro, stylographe > stylo, piano-forte > piano, automobile > auto, météorologie > météo ; cf aussi avion qui s'est substitué à aéroplane,pilote àaviateur).
Comme conséquence de ce phénomène la longueur des mots au ni¬veau de la langue est de 2.5 syllabes, alors que dans la parole - de 1.35 syllabes. Ce décalage s'explique par la fréquence d'emploi des mots-outils lors du processus de communication.
La tendance à raccourcir les mots, qui s'est manifestée à toutes les époques, a pour conséquence un autre phénomène caractéristique du vo¬cabulaire français - l'homonymie. Un grand nombre de mots a coïncidé quant à la prononciation à la suite de modifications phonétiques réguliè¬res.
C'est surtout parmi les monosyllabes que l'on compte un grand nom¬bre d'homonymes ; tels sont : ver < lat. vermis, vers (subst.) < lat. Versus - « sillon, ligne, vers ». vers (prép ) < lat. versus de vertere - « tourner ». vert < lat. vendis De là de nombreuses séries d'homonymes : par, part, pars ; cher, chair, chaire ; air, ère, aire, hère, erre (if), etc À la suite de l'homonymie le mot perd de son autonomie ce qui peut amener des con¬flits homonymiques Dans son ouvrage « La sémantique » P Guiraud cite l'exemple des verbes de l'ancien français amer - « aimer » et esmer - « estimer » qui se sont confondus dans la prononciation [eme]. Cette homonymie a disparu à la suite de l'élimination de esmer au profit de son doublet savant estimer. Toutefois les distinctions sémantiques et gram¬maticales des homonymes trouvent un support dans l'orthographe (àl'ex-ception des cas d'homographie : goutte –капля , goutte –подагра . ce qui rend un service incontestable en prenant dans l'énoncé écrit une impor¬tance particulière. Grâce à l'orthographe et au contexte l'homonymie ne présente point de sérieux inconvénient ainsi que le pensent certains lin¬guistes qui qualifient ce phénomène naturel de pathologique (comme par exemple S. Ullmann). En réalité les homonymes se laissent facilement identifier et les cas de confusion dans la parole sont pratiquement réduits à zéro. Là, où la confusion est possible « il suffit de faire intervenir dans les énoncés... une modification minimale pour que leur signification se trouve précisée » [7, p. 49-50]. Ainsi en français nous avons :
« L'association des maires de France,
L'association des mères de France, etc. Or, pour échapper à l'ambi¬guïté, il suffit de dire dans le deuxième cas :
L'association des mères françaises, etc. » [7, p. 49-50].
Quant à la syllabation des mots français elle est reconnue comme étant remarquablement uniforme et simple. Ce sont les syllabes ouvertes qui forment près de 70% dans la chaîne parlée. Surtout fréquentes sont les syllabes ouvertes du type : consonne - voyelle (par exemple : [de-vi-za-ge] -dévisager, [re-pe-te] -répéter), moins nombreuses sont les syllabes des types : consonne-consonne-voyelle etvoyelle (par exemple : [ble-se] - blesser, [tru-ble] - troubler, [e-ku-te] - écouter, [a-ri-ve] - arriver). Parmi les syllabes fermées on rencontre surtout le type : consonne - voyel¬le -consonne (par exemple : [sur-nal] -journal, [par-tir] -partir}. Les autres types sont rares. Cette particularité de la structure syllabique des mots français contribue à son tour à l'homonymie.
Le mot français peut commencer par n' importe quelle consonne, tou¬tefois les semi-consonnes initiales [j], [w], [q] sont rares ; de même que le h « aspiré » (haine, haïr, haricot, haie, onze, un - nom de nombre, etc.).
On ne compte qu'un certain nombre de mots commençant par [z] (zèbre, zéro, zinc, zone, zoo), par un [jt] dans l'argot ou le langage fami¬lier (gnaule, gnognote - « niais », gnangnan (fam.) - « mou, sans éner¬gie »).
Relativement peu nombreuses aussi sont les combinaisons de conson¬nes au début du mot. Ce sont, le cas échéant, des groupes de deux conson¬nes dont le premier élément est une occlusive [p], [t], [k], [b], [d], [g] ou une spirante labiale [f], [v] suivie d'une liquide [I], [r] ou d'une semi-voyelle [w], [j], [q].
Ce sont aussi les combinaisons initiales comportant trois consonnes dont une liquide et une semi-voyelle après une occlusive : [prw], [plw], [plq], [trw], [trq], [krw], [krq], etc.
Les autres combinaisons de deux ou de trois consonnes aussi bien au début qu'à l'intérieur du mot sont rares (pneumatique, phtisie, stress, stri¬dent, strapontin, esclandre, escrime), apparaissant, comme règle, dans des mots d'emprunt.
Quant aux voyelles le français répugne aux hiatus à l'intérieur des mots (cf. : appréhender, méandre), il est exempt de diphtongues.
Notons aussi le service rendu par les phonèmes dans la distinction des vocables différents.
A. Sauvageot souligne le rôle exclusif de la consonne initiale dans la différenciation des mots. « II arrive, dit-il, qu'une même voyelle fournis¬se presque autant de vocables qu'il y a de consonnes pour la précéder : pont/ton /bon / don / gond /fond / font / vont / long / mont / nom / rond / sont /son /jonc, etc. » [7, p. 44].
La voyelle aussi a une valeur différencielle très importante. Dans le schéma consonnantique p - r selon la voyelle on a : par, part - port, porc, pore -pour -père, paire, pair-peur -pur.
Telles sont à grands traits les possibilités combinatoires des phonè¬mes français.
Dans la langue russe les mots dans la chaîne parlée sont généralement marqués de raccenttonique. ce qui facilite leur délimitation. Il en est autre¬ment pour le français où les mots phonétiquement se laissent difficilement isoler dans le discours : privés de l'accent tonique propre, ils se rallient les uns aux autres en formant une chaîne ininterrompue grâce aux liaisons et aux enchaînements. On dégage, en revanche, des groupes de mots repré¬sentant une unité de sens et qui sont appelés « groupes dynamiques ou rythmiques » avec un accent final sur la dernière voyelle du groupe.
Cette particularité de l'accentuation fait que le mot français perd de son autonomie dans la chaîne parlée. La délimitation phonétique des mots émis dans la parole en est enrayée. Ceci explique les modifications de l'aspect phonétique survenues à certains mots au cours des siècles. Les uns se sont soudés avec les mots qui les précédaient dont l'article défini : c'est ainsi que ierre est devenu lierre, endemain - lendemain, nette -luette, oriot - loriot ; / 'aboutique - la boutique, d'autres au contraire, ont subi une amputation : lacunette - « petit canal » s'est transformé en la cunette car on a pensé à l'article précédant un substantif ; de même m'amie a été perçu comme ma mie.
Toutefois il serait abusif de conclure à l'absence totale de limites entre les mots dans la chaîne parlée en français. En effet certains indices phonétiques contribuent à dégager les mots dans le discours. Ainsi, par exemple, le son [z] qui apparaît dans les liaisons signale la jointure entre deux mots. Il en est de même de l'hiatus qui, comme nous l'avons signa¬lé, est rare à l'intérieur du mot. mais assez régulier à la limite des mots [2, p. 321-322]. Un indice important est l'éventualité d'une pause en fin de mot dans la chaîne parlée [11, p. 61].
7. Caractéristique grammaticales des mots
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Caractéristique grammaticale du mot en français moder¬ne. Les unités essentielles de la langue étroitement liées l'une à l'autre sont le motet la proposition. Les mots acquièrent dans la proposition une force particulière en tant qu'éléments de la communication. C'est en se groupant en propositions d'après les règles grammaticales que les mots manifestent leur faculté d'exprimer non seulement des notions, des con¬cepts, mais des idées, des jugements. Dans la proposition les mots auto¬nomes remplissent les fonctions de différents termes, dits termes de la proposition (du sujet, du prédicat, du complément, etc.). tandis que les mots non-autonomes établissent des rapports variés entre les termes ou les parties de la proposition. La faculté de former des propositions afin d'exprimer des jugements constitue une des principales caractéristiques grammaticales des mots.
Une autre particularité du mot consiste dans son appartenance à une des parties du discours. Ainsi on distingue les substantifs, les adjectifs, les verbes, les adverbes, les pronoms, etc. Les parties du discours sont étudiées par la grammaire : elles constituent la base de la morphologie. C'est à partir des propriétés des parties du discours que la grammaire crée les règles des agencements de mots, les règles qui sont le produit d'un long travail d'abstraction de la mentalité humaine. Il serait pourtant faux de traiter les parties du discours de catégories purement grammaticales En effet, les parties du discours se distinguent les unes des autres par leur sens lexical : les substantifs désignent avant tout des objets ou des phéno¬mènes, les verbes expriment des processus, des actions ou des états : les adjectifs - des qualités, etc. C'est pourquoi il serait plus juste de qualifier les parties du discours de catégories lexico-grammaticales.
La composition morphémique des mots est aussi étudiée par la gram¬maire, pourtant elle a un intérêt considérable pour la lexicologie. La fa¬culté du mot de se décomposer en morphèmes présente une des caractéristiques grammaticales du mot qui. en particulier, le distingue du morphème. Ce dernier, étant lui-même la plus petite unité significative de la langue, ne peut être décomposé sans perte de sens. Ainsi le mot amener comporte trois morphèmes : a-men-er, mais ces derniers ne se laissent pas décomposer en plus petites unités significatives. On peut seulement en déterminer la structure phonique, en isoler les phonèmes. Les phonèmes ne possèdent point de sens propre, ils ne servent qu'à distinguer les morphèmes (cf. : amener et emmener : mener et miner : tremper et tromper : lever et laver ; cacher, cocher et coucher). Ce sont principa¬lement les mots autonomes qui se laissent décomposer en morphèmes. Quant aux mots-outils, dont beaucoup se rapprochent à certains égards des morphèmes, ils constituent généralement un tout indivisible.
Parmi les mots autonomes, il y en a de simples qui sont formés d'une seule racine. Tels sont homme, monde, terre, ciel, arbre, table, porte, chambre, etc. Ces mots pourraient être aussi appelés « mots-racines ». Plus souvent les mots contiennent une ou plusieurs racines auxquelles se joignent des affixes (les préfixes placés avant et les suffixes placés après la racine) et les terminaisons (ou) les désinences qui expriment des significations grammaticales. On distingue encore le thème (ouïe radical), c'est-à-dire la partie du mot recelant le sens lexical et précé¬dant la terminaison à valeur grammaticale. Ainsi dans l'exemple : Nous démentons formellement ces accusations, le mot démentons comprend la racine -ment-, le préfixe dé-, le thème dément-, la terminaison -ons La racine recèle le sens lexical fondamental du mot. Le thème qui com¬porte tout le sens lexical du mot s'oppose à la désinence qui est porteur d'un sens grammatical.
Dans le français moderne le thème apparaît exclusivement dans la conjugaison des verbes qui ont conservé jusqu'à présent des traits de l'ancien synthétisme, tandis que dans les nominaux, depuis la destruction du système de déclinaison, le thème ne se laisse plus dégager, il coïncide avec le mot. Les finales des substantifs et des adjectifs telles que animal - animaux, paysan - paysanne ; blanc - blanche, fin -fine ne sont plus des désinences mais de simples alternances phoniques à valeur gramma¬ticale.
Dans les travaux des linguistes français le terme « radical » s'em¬ploie encore pour désigner la partie du mot à laquelle s'applique l'un ou l'autre affixe servant à former ce mot. Pour plus de précision il serait préférable de dénommer cette partie du mot par un terme spécial. Celui de « base formative » ou simplement « base » serait plus approprié. Ainsi contrairement au thème (radical) le terme « base » sera appliqué à l'élé¬ment du mot auquel s'ajoutent l'affixe ou les affixes formant ce mot. Par exemple, dans acclimatation la base formative sera présentée par la par¬tie acclimat- à laquelle s'applique le suffixe -ation. Les bases fbrmatives peuvent être ou non en corrélation avec des mots indépendants. Elles sont respectivement appelées libres comme dans refaire, laitière, cache-nez (cf. -.faire, lait, cache, nez) et liées comme dans fracture, bibliothèque (cf. -.fraction, bibliophile, jilmothèque). À l'encontre du thème (ou radi¬cal), la base formative ne recèle guère comme règle, tout le sens lexical du mot.
Les affixes appliqués à la base peuvent tout simplement en modifier le sens. Tels sont les cas de jardinet, maisonnette, refaire. Plus souvent les rapports sémantiques entre la base et Faffixe sont plus compliqués ; dans ces derniers cas, on crée des mots qui se distinguent essentiellement par leur sens de la base formative. Ainsi le mot orangeade (f) ne désigne point une espèce d'orange, mais une boisson rafraîchissante au sirop d'orange : un poursuiteur n'est même pas une personne qui en poursuit une autre, mais plus spécialement un cycliste-spécialiste de la poursuite.
Donc, les affixes peuvent conférer aux mots qu'ils forment des sens lexicaux ; pourtant ils sont aussi des porteurs de valeurs grammaticales Ainsi, par exemple, les suffixes des substantifs ont pour rôle accessoire de marquer le genre : -et,-(e)ment, -âge forment des substantifs mascu¬lins ; -té, -ation, -ance (-ence), -ce, -ure, -ade - des substantifs féminins, etc.
Les racines, les affixes. les désinences sont des morphèmes II s'en¬suit des exemples cités que les morphèmes peuvent être porteurs de va¬leurs de caractère différent : les racines ont une valeur d'ordre lexical. les désinences - des valeurs grammaticales ; les affixes - généralement des valeurs lexico-grammaticales. Quant aux thèmes (radicaux) et aux bases formatives, le nombre des morphèmes qui les constituent est variable il va de plusieurs morphèmes (cf. : relis-ez ; déplorable-ment), à un seul. Dans ce dernier cas il y a coïncidence avec la racine du mot dont ils font partie (cf. : patin-ans, patin-aire).