31. Les variation differentieles des synonimes
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Les variations différentielles des synonymes. Les syno¬nymes diffèrent tant par leur sens (variations notionnelles et affectives) que par leur signalement (variations stytistico-fonctionnelles et variations d'emploi).
L e s v a r i a t i o n s n o t i o n n e l l e s ont déjà été illustrées par la série synonymique de craindre, redouter, appréhender, avoir peur. Ces exemples pourraient être multipliés. Dans le « Dictionnaire des synony¬mes » les auteurs fournissent des explications précises pour les synonymes de l'adjectif terne (= qui a perdu en partie sa couleur) ; pâle (qui se dit d'une couleur éteinte) ; fade (qui se dit d'une couleur sans éclat), délavé (= décoloré par les lavages) et mat (= dépoli : un plat en argent mat).
Nous avons établi qu'il y a réellement synonymie si les distinctions logiques parviennent à se neutraliser régulièrement dans la parole. Quant aux autres types de variations, leur présence dans l'énoncé ne détruit guère la synonymie.
L e s v a r i a t i o n s a f f e c t i v e s. Il existe plusieurs synonymes pour rendre la notion de enfant. Le mot enfant est neutre, le mot bambin désigne un petit enfant avec une nuance de sympathie ou d'intérêt ; le mot gosse traduit la sympathie du locuteur, mais il comporte en même temps une nuance de supériorité et de dédain ; quand on veut parler à un petit garçon sur un ton amical et un peu protecteur, on peut l'appeler petit bonhomme : le mot galopin est employé généralement dans un sens pé¬joratif, quant à garnement, il est nettement dépréciatif.
À côté du terme neutre tomber amoureux on emploie s'amoura¬cher (« se prendre d'amour », en mauvaise part) ; se coiffer - avec une nuance d'ironie, de moquerie ; s'enticher - qui exprime le mécontente-ment et l'étonnement de celui qui parle ; s'enjuponner - qui est plein de mépris et de raillerie et qui appartient au style vulgaire.
Afin de montrer son mépris, son aversion pour une personne avare, on emploie à côté du mot avare ses synonymes affectifs : crasseux, gri¬gou, grippe-sou,liardeur, harpagon.
L e s v a r i a t i o n s s t y l i s t i c o – f o n c t i o n n e l l e s. Il a déjà été question des différentes couches lexicales dont se compose le vocabulaire d'une langue. Le choix des mots dépend dans chaque cas concret des circonstances, du caractère de l'énoncé. On ne se sert pas du même vocabulaire dans un livre scientifique, une lettre officielle ou intime, une conversation avec une personne âgée ou avec un enfant. Un diplomate n'utilise pas les vocables employés par « l'homme de la aie », la façon de parler d'un étudiant varie selon qu'il s'adresse à ses camarades ou à ses | professeurs.
I Les mots appartiennent à l'un ou l'autre style de la langue écrite ou parlée : ils peuvent être neutres, nobles, familiers ou vulgaires ; ils ont tantôt un emploi commun, tantôt un emploi terminologique.
Cette répartition stylistique du vocabulaire donne naissance aux sy¬nonymes stylistico-fonctionnels.
À côté de la tournure usuelle au revoir il existe une variante vulgaire à la revoyure : le mot tète possède des synonymes argotiques tels que boule, caboche, cafetière, etc. À côté de ventre on emploie ses synony¬mes populaires et familiers bedaine, bidon, à côté de laisser, abandon¬ner - plaquer, larguer et balancer. Si l'on veut rendre plus brutale l'idée exprimée par nous sommes perdus, on peut avoir recours aux expres¬sions vulgaires nous sommes fichus ou encore nous sommes foutus. L'équivalent argotique de ne porter aucun intérêt à qch est n 'en avoir rien à cirer. Ainsi les synonymes peuvent appartenir à des styles fonc¬tionnels différents, tout en exprimant la même notion ces synonymes ont des caractéristiques socio-linguistiques distinctes.
Nous devons à J. Marouzeau une étude intéressante des caractéris¬tiques sociales des mots. Il nous apprend, par exemple, que infortuné est plus distingué que malheureux ; fuir est plus distingué que se sauver et vitre est plus distingué que carreau, etc. « Pour exprimer l'idée de la quantité, - dit Marouzeau, - la langue dispose d'abord de toute une col¬lection de vulgarismes : une tapée, une tripotée, une flopée, une biturée, une dégelée : puis, à un degré au-dessus : une masse de, des tas de ; plus haut encore : une foule de, quantité de ; ensuite, au niveau de la langue commune : bien des, beaucoup de ; enfin, à l'usage des gens cultivés, les survivances de l'ancienne langue : maint, force et même l'archaïque et prétentieux moult » [52, p. 33]. Un autre type de synony¬mes fonctionnels est représenté par la synonymie entre un mot commun et un tenue spécial : poitrinaire et tuberculeux, tuberculose et phtisie, amaigrissement et étisie, coup de sang et embolie, piqûre et injection, peau et épiderme, saignée et phlébotomie, vitriole et acide sulfurique, acide de sucre et acide oxalique, etc.
Il y a des synonymes appartenant à différents genres littéraires : fir¬mament est plus poétique que ciel, génisse plus poétique que vache : à côté de la main droite il y a un synonyme appartenant au style élevé et archaïsant : dextre, etc.
L e s v a r i a t i o n s d' e m p l o i. Il y a des synonymes qui se distinguent avant tout par leur environnement linguistique. L'emploi de ces mots avec d'autres est une question d'usage.
Les mots travail, labeur sont des synonymes dont les sens sont très proches (labeur indiquerait un travail plus pénible). Les cas sont fréquents où les deux synonymes s'emploient indifféremment dans le même envi¬ronnement linguistique : vivre de son travail, vivre de son labeur : im¬mense travail immense labeur, etc. Toutefois, les conditions d'emploi de ces mots ne sont pas toujours identiques : on dit travaux publics mais on ne peut pas dire labeurs publics, quoique ces travaux puissent être très pénibles : l'usage n'admet pas une pareille combinaison. On dit travaux forcés, travaux de sape mais labeurs forcés, labeurs de sape sont inadmissibles. Le mot labeur peut être appliqué pour désigner un travail scientifique, et cependant le substantif labeur ne s'emploie pas avec l'ad¬jectif scientifique : on dit travail scientifique, alors que labeur scienti¬fique est condamné par l'usage.
Les mots triomphe et victoire tout en étant des synonymes, peuvent se distinguer par leur emploi ; ainsi dans l'expression remporter une vic¬toire on ne peut pas remplacer le mot victoire par triomphe. Par contre on peut avoir un air de triomphe, mais on ne peut pas avoir un air de victoire ; cependant, on dit indifféremment air victorieux et air triom¬phant.
L'étude des emplois des mots-synonymes avec d'autres mots est parmi les plus importantes et les plus difficiles.
Selon le caractère des variations on distingue les synonymes idéogra¬phiques (fécond et fertile}, affectifs (gamin, galopin et garnement par rapport à garçon), stylistico-fonctionnels (caboche et tête), les synony¬mes à emploi différent (triomphe et victoire).
Très souvent les distinctions des synonymes se situent sur des plans différents. Ainsi, la synonymie affective est étroitement liée à la synony¬mie fonctionnelle et idéographique : la valeur affective de tel ou tel mot dépend de son emploi fonctionnel et de son contenu notionnel. Par exem¬ple, dans la série des synonymes exprimant la notion de visage : figure, frimousse, minois, trogne, gueule, mufle, etc., la nuance de tendresse renfermée dans les mots frimousse, minois s'explique par leur valeur idéographique, puisqu'ils ne peuvent s'appliquer qu'à la figure d'un enfant ou d'une très jeune fille : l'aversion rendue par les mots gueule, mufle, etc. est due à ce que ces mots désignent au sens propre la « bouche » d'un animal ; ils ne deviennent des synonymes de figure, visage que dans les acceptions figurées, secondaires. D'autre part, la nuance affective d'un mot est parfois le résultat de son appartenance à une sphère d'emploi déterminée. Ainsi, les synonymes du mot amoureux - chipé, mordu, pincé, ont un caractère grossier, moqueur, dédaigneux, précisément à cause de leur origine populaire ou argotique.
32. Les origines de la synonimie
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Les origines de la synonymie. L'apparition de nouveaux synonymes répond au besoin de nuancer notre pensée. Les dénomina¬tions de ces nuances sémantiques sont puisées dans des sources diverses Parfois c'est l'emprunt à une langue étrangère Ainsi, à côté du mot goû¬ter a apparu son synonyme d'origine anglaise lunch ; à côté de bavarder, jaser a surgi un mot d'origine espagnole -palabrer (de l'esp. palabra - « parole ») qui signifiait jadis « tenir une conférence avec un chef nègre ». Le mot d'origine anglaise barman est venu se ranger à côté des mots français serveur et garçon. Le mot anglais business ou bisness est à présent un synonyme de commerce, affaire : à côté de salle, vestibule a apparu le mot anglais hall.
Il arrive parfois que les doublets étymologiques conservent une affi¬nité de sens qui permet de les considérer comme synonymes ; ainsi, les adjectifs raide et rigide remontent à un seul adjectif latin rigidus. Les deux mots français sont des synonymes idéographiques, tant au sens pro¬pre que dans leur emploi figuré. Au sens propre raide indique ce qui. étant très tendu, est difficile àplier ; rigide signifie tout simplement l'impossibilité d'être plié : une corde tendue est raide, une barre de fer est rigide. Au sens figuré, appliqué au caractère d'une personne, raide suppose la hau¬teur, la réserve froide, tandis que rigide — plutôt la sévérité, l'austérité.
Les adjectifs synonymes frêle et fragile présentent le même phéno¬mène : tous les de,ux remontent à un seul adjectif latin fragilis, tous les deux indiquent l'aptitude à être brisé, cassé, mais frêle implique l'idée de « facilité d'être courbé, ployé » qui se rapproche de la notion exprimée par l'adjectif faible : la porcelaine est fragile, la tige d'une fleur est frêle.
Il n'est pas rare de rencontrer des synonymes formés d'une seule racine, dont l'un contient un affixe et l'autre en est dépourvu : tels les substantifs mont et montagne qui sont des synonymes idéographiques. Le mot mont s'emploie plutôt quand on souligne le caractère individuel de l'objet : le mont Olympe, le mont Parnasse, tandis que le mot montagne a un caractère plus général : descendre une montagne, habiter au pied d'une montagne. Les substantifs meubles et mobilier présentent deux variantes historiques de la même racine dont la seconde est formée à l'aide du suffixe -ier. La différence sémantique entre ces deux synony¬mes consiste en ce que le premier désigne plusieurs objets individuels, tandis que le second envisage ces objets dans leur ensemble.
Mais le plus souvent c'est au développement de la polysémie que la langue doit l'apparition des synonymes. Les mots, qui primitivement n'avaient rien de commun entre eux, arrivent à former des séries de syno¬nymes à la suite de leur évolution sémantique, dictée par des besoins de communication.
En comparant disparaître, s'éclipser, s'évanouir, s'effacer (qui sont tous des synonymes idéographiques partiels) on se rend facilement comp¬te des voies par lesquelles ces mots ont pris des significations similaires ; ce phénomène se produit généralement par le développement des emplois figurés qui se fixent peu à peu comme des significations secondaires des mots ; ainsi s'éclipser (de éclipse - «затмениe») ne s'appliquait primiti¬vement qu'au Soleil ou à la Lune. Ensuite, on a commencé à l'employer pour indiquer la disparition d'un objet dérobé à la vue par quelque obstacle, par exemple : un paysage qui s'éclipse dans le brouillard. Une nouvelle évolution de l'emploi figuré se produit : le verbe commence à s'employer pour « s'éloigner, disparaître aux yeux du monde » comme dans s'éclipser de la scène politique et aussi « partir à la dérobée, s'esquiver » :
Le vieux domestique s'était éclipsé (Gautier).
Le verbe s'applique aussi à des choses qui ne sont pas seulement invisibles, mais qui ne sont pas devant les yeux et. partant, s'éclipser de¬vient le synonyme abstrait de disparaître, s'évanouir. Le « Dictionnaire de la langue française » (le Robert) l'atteste par l'exemple suivant :
Ainsi s'éclipsèrent en un instant toutes mes grandes espé¬rances. (J.-J. Rousseau).
Ce verbe diffère de son synonyme disparaître en ce qu'il met en relief la nuance « cesser subitement d'exister et de façon imprévue ».
S'évanouir, au contraire, indique l'anéantissement graduel d'une chose qui disparaît à vue d'oeil et sans laisser de traces. Ce mot s'applique de préférence à des notions telles que le rêve, la vision, etc. : Mon bonheur s'est évanoui comme un songe.
S'effacer ne signifiait à l'origine que la disparition sous l'action phy¬sique de quelque chose d'écrit ou de gravé, par exemple : une inscription s'efface, l'effigie d'une médaille s'efface ; ensuite au figuré le mot s'est appliqué à des phénomènes fixés dans la mémoire : un souvenir, une image gravés dans la mémoire peuvent s'effacer. Actuellement le verbe s'effacer s'emploie comme synonyme de disparaître précisément en parlant des souvenirs et se rapproche du verbe s'oublier ; par exem¬ple : le ciel d'Afrique a produit en moi un enchantement qui ne s'effa¬ce point ; je croyais que tout s'oubliait, que tout s'effaçait...
Tous ces synonymes désignent le même phénomène — la disparition, mais ils le présentent sous des angles différents, selon la manière dont les choses diverses disparaissent.
Le développement des acceptions figurées des mots et leur adapta¬tion au besoin d'exprimer des notions voisines, mais différentes, fournit une source inépuisable de nouveaux synonymes. En même temps ce pro-cessus peut amener à la destruction d'une synonymie plus ancienne.
Dans son dictionnaire des synonymes R. Bailly cite ace propos l'exem¬ple du mot libertin qui signifiait en latin « esclave libéré » ; au XVIIe siècle ce mot était le synonyme de libre-penseur, au XVIIIe siècle il est devenu le synonyme de débauché. De nos jours il ne s'emploie que comme ter¬me historique.
Les synonymes sont aussi créés par les euphémismes qui tendent à se substituer à des vocables trop crus sans toutefois y réussir nécessaire¬ment. C'est pourquoi les euphémismes surgissent en tant que synonymes de vocables existants (cf. : quitter les siens et mourir : simple, naifct bêle : porter des cornes, voyager en Cornouaille et être cocu). Peu à peu les créations euphémiques perdent leur caractère « distingué » du fait que l'idée de la chose s'unit à l'exprеssion, et elles sont relayées par de nouveaux euphémismes
Ainsi la synonymie se développe et se modifie tout comme les autres aspects de la langue.
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Les variations différentielles des synonymes. Les syno¬nymes diffèrent tant par leur sens (variations notionnelles et affectives) que par leur signalement (variations stytistico-fonctionnelles et variations d'emploi).
L e s v a r i a t i o n s n o t i o n n e l l e s ont déjà été illustrées par la série synonymique de craindre, redouter, appréhender, avoir peur. Ces exemples pourraient être multipliés. Dans le « Dictionnaire des synony¬mes » les auteurs fournissent des explications précises pour les synonymes de l'adjectif terne (= qui a perdu en partie sa couleur) ; pâle (qui se dit d'une couleur éteinte) ; fade (qui se dit d'une couleur sans éclat), délavé (= décoloré par les lavages) et mat (= dépoli : un plat en argent mat).
Nous avons établi qu'il y a réellement synonymie si les distinctions logiques parviennent à se neutraliser régulièrement dans la parole. Quant aux autres types de variations, leur présence dans l'énoncé ne détruit guère la synonymie.
L e s v a r i a t i o n s a f f e c t i v e s. Il existe plusieurs synonymes pour rendre la notion de enfant. Le mot enfant est neutre, le mot bambin désigne un petit enfant avec une nuance de sympathie ou d'intérêt ; le mot gosse traduit la sympathie du locuteur, mais il comporte en même temps une nuance de supériorité et de dédain ; quand on veut parler à un petit garçon sur un ton amical et un peu protecteur, on peut l'appeler petit bonhomme : le mot galopin est employé généralement dans un sens pé¬joratif, quant à garnement, il est nettement dépréciatif.
À côté du terme neutre tomber amoureux on emploie s'amoura¬cher (« se prendre d'amour », en mauvaise part) ; se coiffer - avec une nuance d'ironie, de moquerie ; s'enticher - qui exprime le mécontente-ment et l'étonnement de celui qui parle ; s'enjuponner - qui est plein de mépris et de raillerie et qui appartient au style vulgaire.
Afin de montrer son mépris, son aversion pour une personne avare, on emploie à côté du mot avare ses synonymes affectifs : crasseux, gri¬gou, grippe-sou,liardeur, harpagon.
L e s v a r i a t i o n s s t y l i s t i c o – f o n c t i o n n e l l e s. Il a déjà été question des différentes couches lexicales dont se compose le vocabulaire d'une langue. Le choix des mots dépend dans chaque cas concret des circonstances, du caractère de l'énoncé. On ne se sert pas du même vocabulaire dans un livre scientifique, une lettre officielle ou intime, une conversation avec une personne âgée ou avec un enfant. Un diplomate n'utilise pas les vocables employés par « l'homme de la aie », la façon de parler d'un étudiant varie selon qu'il s'adresse à ses camarades ou à ses | professeurs.
I Les mots appartiennent à l'un ou l'autre style de la langue écrite ou parlée : ils peuvent être neutres, nobles, familiers ou vulgaires ; ils ont tantôt un emploi commun, tantôt un emploi terminologique.
Cette répartition stylistique du vocabulaire donne naissance aux sy¬nonymes stylistico-fonctionnels.
À côté de la tournure usuelle au revoir il existe une variante vulgaire à la revoyure : le mot tète possède des synonymes argotiques tels que boule, caboche, cafetière, etc. À côté de ventre on emploie ses synony¬mes populaires et familiers bedaine, bidon, à côté de laisser, abandon¬ner - plaquer, larguer et balancer. Si l'on veut rendre plus brutale l'idée exprimée par nous sommes perdus, on peut avoir recours aux expres¬sions vulgaires nous sommes fichus ou encore nous sommes foutus. L'équivalent argotique de ne porter aucun intérêt à qch est n 'en avoir rien à cirer. Ainsi les synonymes peuvent appartenir à des styles fonc¬tionnels différents, tout en exprimant la même notion ces synonymes ont des caractéristiques socio-linguistiques distinctes.
Nous devons à J. Marouzeau une étude intéressante des caractéris¬tiques sociales des mots. Il nous apprend, par exemple, que infortuné est plus distingué que malheureux ; fuir est plus distingué que se sauver et vitre est plus distingué que carreau, etc. « Pour exprimer l'idée de la quantité, - dit Marouzeau, - la langue dispose d'abord de toute une col¬lection de vulgarismes : une tapée, une tripotée, une flopée, une biturée, une dégelée : puis, à un degré au-dessus : une masse de, des tas de ; plus haut encore : une foule de, quantité de ; ensuite, au niveau de la langue commune : bien des, beaucoup de ; enfin, à l'usage des gens cultivés, les survivances de l'ancienne langue : maint, force et même l'archaïque et prétentieux moult » [52, p. 33]. Un autre type de synony¬mes fonctionnels est représenté par la synonymie entre un mot commun et un tenue spécial : poitrinaire et tuberculeux, tuberculose et phtisie, amaigrissement et étisie, coup de sang et embolie, piqûre et injection, peau et épiderme, saignée et phlébotomie, vitriole et acide sulfurique, acide de sucre et acide oxalique, etc.
Il y a des synonymes appartenant à différents genres littéraires : fir¬mament est plus poétique que ciel, génisse plus poétique que vache : à côté de la main droite il y a un synonyme appartenant au style élevé et archaïsant : dextre, etc.
L e s v a r i a t i o n s d' e m p l o i. Il y a des synonymes qui se distinguent avant tout par leur environnement linguistique. L'emploi de ces mots avec d'autres est une question d'usage.
Les mots travail, labeur sont des synonymes dont les sens sont très proches (labeur indiquerait un travail plus pénible). Les cas sont fréquents où les deux synonymes s'emploient indifféremment dans le même envi¬ronnement linguistique : vivre de son travail, vivre de son labeur : im¬mense travail immense labeur, etc. Toutefois, les conditions d'emploi de ces mots ne sont pas toujours identiques : on dit travaux publics mais on ne peut pas dire labeurs publics, quoique ces travaux puissent être très pénibles : l'usage n'admet pas une pareille combinaison. On dit travaux forcés, travaux de sape mais labeurs forcés, labeurs de sape sont inadmissibles. Le mot labeur peut être appliqué pour désigner un travail scientifique, et cependant le substantif labeur ne s'emploie pas avec l'ad¬jectif scientifique : on dit travail scientifique, alors que labeur scienti¬fique est condamné par l'usage.
Les mots triomphe et victoire tout en étant des synonymes, peuvent se distinguer par leur emploi ; ainsi dans l'expression remporter une vic¬toire on ne peut pas remplacer le mot victoire par triomphe. Par contre on peut avoir un air de triomphe, mais on ne peut pas avoir un air de victoire ; cependant, on dit indifféremment air victorieux et air triom¬phant.
L'étude des emplois des mots-synonymes avec d'autres mots est parmi les plus importantes et les plus difficiles.
Selon le caractère des variations on distingue les synonymes idéogra¬phiques (fécond et fertile}, affectifs (gamin, galopin et garnement par rapport à garçon), stylistico-fonctionnels (caboche et tête), les synony¬mes à emploi différent (triomphe et victoire).
Très souvent les distinctions des synonymes se situent sur des plans différents. Ainsi, la synonymie affective est étroitement liée à la synony¬mie fonctionnelle et idéographique : la valeur affective de tel ou tel mot dépend de son emploi fonctionnel et de son contenu notionnel. Par exem¬ple, dans la série des synonymes exprimant la notion de visage : figure, frimousse, minois, trogne, gueule, mufle, etc., la nuance de tendresse renfermée dans les mots frimousse, minois s'explique par leur valeur idéographique, puisqu'ils ne peuvent s'appliquer qu'à la figure d'un enfant ou d'une très jeune fille : l'aversion rendue par les mots gueule, mufle, etc. est due à ce que ces mots désignent au sens propre la « bouche » d'un animal ; ils ne deviennent des synonymes de figure, visage que dans les acceptions figurées, secondaires. D'autre part, la nuance affective d'un mot est parfois le résultat de son appartenance à une sphère d'emploi déterminée. Ainsi, les synonymes du mot amoureux - chipé, mordu, pincé, ont un caractère grossier, moqueur, dédaigneux, précisément à cause de leur origine populaire ou argotique.
32. Les origines de la synonimie
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Les origines de la synonymie. L'apparition de nouveaux synonymes répond au besoin de nuancer notre pensée. Les dénomina¬tions de ces nuances sémantiques sont puisées dans des sources diverses Parfois c'est l'emprunt à une langue étrangère Ainsi, à côté du mot goû¬ter a apparu son synonyme d'origine anglaise lunch ; à côté de bavarder, jaser a surgi un mot d'origine espagnole -palabrer (de l'esp. palabra - « parole ») qui signifiait jadis « tenir une conférence avec un chef nègre ». Le mot d'origine anglaise barman est venu se ranger à côté des mots français serveur et garçon. Le mot anglais business ou bisness est à présent un synonyme de commerce, affaire : à côté de salle, vestibule a apparu le mot anglais hall.
Il arrive parfois que les doublets étymologiques conservent une affi¬nité de sens qui permet de les considérer comme synonymes ; ainsi, les adjectifs raide et rigide remontent à un seul adjectif latin rigidus. Les deux mots français sont des synonymes idéographiques, tant au sens pro¬pre que dans leur emploi figuré. Au sens propre raide indique ce qui. étant très tendu, est difficile àplier ; rigide signifie tout simplement l'impossibilité d'être plié : une corde tendue est raide, une barre de fer est rigide. Au sens figuré, appliqué au caractère d'une personne, raide suppose la hau¬teur, la réserve froide, tandis que rigide — plutôt la sévérité, l'austérité.
Les adjectifs synonymes frêle et fragile présentent le même phéno¬mène : tous les de,ux remontent à un seul adjectif latin fragilis, tous les deux indiquent l'aptitude à être brisé, cassé, mais frêle implique l'idée de « facilité d'être courbé, ployé » qui se rapproche de la notion exprimée par l'adjectif faible : la porcelaine est fragile, la tige d'une fleur est frêle.
Il n'est pas rare de rencontrer des synonymes formés d'une seule racine, dont l'un contient un affixe et l'autre en est dépourvu : tels les substantifs mont et montagne qui sont des synonymes idéographiques. Le mot mont s'emploie plutôt quand on souligne le caractère individuel de l'objet : le mont Olympe, le mont Parnasse, tandis que le mot montagne a un caractère plus général : descendre une montagne, habiter au pied d'une montagne. Les substantifs meubles et mobilier présentent deux variantes historiques de la même racine dont la seconde est formée à l'aide du suffixe -ier. La différence sémantique entre ces deux synony¬mes consiste en ce que le premier désigne plusieurs objets individuels, tandis que le second envisage ces objets dans leur ensemble.
Mais le plus souvent c'est au développement de la polysémie que la langue doit l'apparition des synonymes. Les mots, qui primitivement n'avaient rien de commun entre eux, arrivent à former des séries de syno¬nymes à la suite de leur évolution sémantique, dictée par des besoins de communication.
En comparant disparaître, s'éclipser, s'évanouir, s'effacer (qui sont tous des synonymes idéographiques partiels) on se rend facilement comp¬te des voies par lesquelles ces mots ont pris des significations similaires ; ce phénomène se produit généralement par le développement des emplois figurés qui se fixent peu à peu comme des significations secondaires des mots ; ainsi s'éclipser (de éclipse - «затмениe») ne s'appliquait primiti¬vement qu'au Soleil ou à la Lune. Ensuite, on a commencé à l'employer pour indiquer la disparition d'un objet dérobé à la vue par quelque obstacle, par exemple : un paysage qui s'éclipse dans le brouillard. Une nouvelle évolution de l'emploi figuré se produit : le verbe commence à s'employer pour « s'éloigner, disparaître aux yeux du monde » comme dans s'éclipser de la scène politique et aussi « partir à la dérobée, s'esquiver » :
Le vieux domestique s'était éclipsé (Gautier).
Le verbe s'applique aussi à des choses qui ne sont pas seulement invisibles, mais qui ne sont pas devant les yeux et. partant, s'éclipser de¬vient le synonyme abstrait de disparaître, s'évanouir. Le « Dictionnaire de la langue française » (le Robert) l'atteste par l'exemple suivant :
Ainsi s'éclipsèrent en un instant toutes mes grandes espé¬rances. (J.-J. Rousseau).
Ce verbe diffère de son synonyme disparaître en ce qu'il met en relief la nuance « cesser subitement d'exister et de façon imprévue ».
S'évanouir, au contraire, indique l'anéantissement graduel d'une chose qui disparaît à vue d'oeil et sans laisser de traces. Ce mot s'applique de préférence à des notions telles que le rêve, la vision, etc. : Mon bonheur s'est évanoui comme un songe.
S'effacer ne signifiait à l'origine que la disparition sous l'action phy¬sique de quelque chose d'écrit ou de gravé, par exemple : une inscription s'efface, l'effigie d'une médaille s'efface ; ensuite au figuré le mot s'est appliqué à des phénomènes fixés dans la mémoire : un souvenir, une image gravés dans la mémoire peuvent s'effacer. Actuellement le verbe s'effacer s'emploie comme synonyme de disparaître précisément en parlant des souvenirs et se rapproche du verbe s'oublier ; par exem¬ple : le ciel d'Afrique a produit en moi un enchantement qui ne s'effa¬ce point ; je croyais que tout s'oubliait, que tout s'effaçait...
Tous ces synonymes désignent le même phénomène — la disparition, mais ils le présentent sous des angles différents, selon la manière dont les choses diverses disparaissent.
Le développement des acceptions figurées des mots et leur adapta¬tion au besoin d'exprimer des notions voisines, mais différentes, fournit une source inépuisable de nouveaux synonymes. En même temps ce pro-cessus peut amener à la destruction d'une synonymie plus ancienne.
Dans son dictionnaire des synonymes R. Bailly cite ace propos l'exem¬ple du mot libertin qui signifiait en latin « esclave libéré » ; au XVIIe siècle ce mot était le synonyme de libre-penseur, au XVIIIe siècle il est devenu le synonyme de débauché. De nos jours il ne s'emploie que comme ter¬me historique.
Les synonymes sont aussi créés par les euphémismes qui tendent à se substituer à des vocables trop crus sans toutefois y réussir nécessaire¬ment. C'est pourquoi les euphémismes surgissent en tant que synonymes de vocables existants (cf. : quitter les siens et mourir : simple, naifct bêle : porter des cornes, voyager en Cornouaille et être cocu). Peu à peu les créations euphémiques perdent leur caractère « distingué » du fait que l'idée de la chose s'unit à l'exprеssion, et elles sont relayées par de nouveaux euphémismes
Ainsi la synonymie se développe et se modifie tout comme les autres aspects de la langue.