29. Les arcaismes (les historismes)
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Les archaïsmes dans le vocabulaire du français moder¬ne. À côté de l'enrichissement perpétuel du vocabulaire nous assistons à un processus contraire : au dépérissement de certains de ses éléments qui tendent à disparaître de l'usage.
Quoique le nombre des éléments tombant en désuétude ou, autrement dit, des archaïsmes (tiré du mot gr. arkhcrikos - « ancien ») soit infime, comparé à celui des néologismes, ces éléments vieillis présentent un cer¬tain intérêt du fait qu'ils témoignent des modifications graduelles qui se produisent dans le vocabulaire ainsi que par la place particulière qu'ils y occupent. Les archaïsmes sont des mots qui, dans toutes ou certaines de leurs acceptions en vertu de motifs différents, cessent d'être indispensa¬bles en tant que moyen de communication des hommes entre eux et finis¬sent par être évincés de l'usage courant. Les archaïsmes sont de deux types différents :
1) les archaïsmes exprimant des notions d'une valeur purement his¬torique et qui de ce fait sont en voie de disparition ; ils figurent dans le vocabulaire d'une langue en tant que mots historiques ou historismes, témoins des époques et des mœurs révolues ; tels sont dans le vocabulaire du français moderne druide, druidesse - « prêtre, prêtresse des Gaulois », escarcelle - « grande bourse pendue à la ceinture, en usage au Moyen Âge », escopette et espingole - « anciennes armes à feu » ; tels sont aussi les noms de beaucoup d'objets et de phénomènes se rapportant au régime féodal et disparus après la Révolution française du XVIIIe siècle, par exem¬ple : bailli - « officier qui rendait la justice au nom du roi ou d'un sei¬gneur », dîme - « dixième partie des récoltes, qu'on payait à l'Église ou aux seigneurs », échevin - « magistrat municipal avant 1789 », échevinage - « fonction d'échevin ; corps des échevins ; territoire administré par les échevins », sénéchal - « officier féodal qui était chef de justice », sénéchaussée - « étendue de la juridiction d'un sénéchal », taille - « im¬pôt mis autrefois sur des roturiers ». À l'époque de la Révolution françai¬se apparaissent les muscadins - « des royalistes qui cherchaient à se singulariser par leur mise extravagante » ; nommons encore des termes d'antiquité comme bacchanale - « fêtes latines en l'honneur de Bacchus », bacchante - « prêtresse de Bacchus », forum - « place où le peu¬ple s'assemblait, à Rome, pour discuter des affaires publiques », patriciat - « dignité de patrice, de patricien », patricien - « citoyen ro¬main faisant partie du patriciat, noble romain » ;
2) les archaïsmes qui sont des vocables désuets associés à des no¬tions vitales qui survivent dans la langue et qui sont rendues par d'autres vocables plus récents ou plus fortunés ; ce sont, par exemple, cuider et engeigner employés encore par La Fontaine (« Tel, comme dit Merlin. cuide engeigner autrui ») et remplacés dans le français moderne par pen¬ser et tromper : ce sont aussi couard, couardise, courre, s'éjouir, friseùr. goupil, partir, val qui ont cédé la place à poltron, poltronnerie, courir, se réjouir, coiffeur, renard, partager, vallon de même que fabrique au sens de « biens, revenus d'une église », maîtrise signifiant « autorité de maî-tre ».
Il est à remarquer qu'avant de disparaître complètement de la langue, les archaïsmes parviennent à se réfugier dans quelque locution toute faite plus ou moins courante où ils peuvent vivoter durant de longs siècles. Tels sont dans le français moderne les cas de partir dans avoir maille à partir avec qn, de courre dans chasse à courre, de val dans par monts et par vaux.
Parfois les archaïsmes se confinent dans quelque terminologie spé¬ciale ; parmi les termes de droit on trouve biens meubles où meuble est employé dans son ancienne fonction d'adjectif ; roche qui dans la langue commune cède le pas à rocher est utilisé par les géologues ; miroir, for¬tement concurrencé dans l'usage courant par glace, est recueilli par les opticiens.
30. La synonimie. Les critères de la synonimie, la synonimie relative et absolue
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Généralités. Les opinions des linguistes contemporains sur la synonymie sont fort différentes. Pour certains linguistes les vocables sont synonymes à condition d'avoir une valeur sémantique identique. Ceux-ci étant réduits au minimum, ces linguistes en arrivent à nier l'existence même de la synonymie. M. Bréal [51] affirme que la synonymie est un phéno¬mène précaire et provisoire, de courte durée qui se détruit infailliblement du fait que les mots-synonymes sont sujets à l'évolution sémantique et acquièrent, par conséquent, des acceptions distinctes.
En effet, les séries synonymiques subissent des regroupements au cours des siècles et toutefois la synonymie comme telle demeure un phé¬nomène constant de la langue.
La synonymie est un phénomène dialectique qui suppose tout à l'a fois des traits communs et des traits distinctifs. Les vocables forment des sé¬ries synonymiques à partir de leur communauté, mais leur présence dans la langue est due principalement à leur fonction différentielle
La synonymie se révèle dans la synchronie, elle est un indice du ca¬ractère systémique de langue.
Au cours de son développement historique la langue devient un ins¬trument de communication de plus en plus parfait. La richesse de la syno¬nymie, en particulier, témoigne de la richesse de la langue en entier.
§ 91. Les critères de la synonymie. En abordant le problème de la synonymie il faut avant tout préciser quels doivent être les rapports sé¬mantiques entre les mots afin qu'on puisse les qualifier de synonymes et quels sont les cas où, malgré la similitude des acceptions des mots, il n'y a point de synonymie entre eux.
Dans certains ouvrages les mots sémantiquement apparentés, réunis par le même ternie d'identification, sont qualifiés de synonymes Ce sont généralement des vocables plus ou moins voisins quant à leurs acceptions qui se trouvent en rapport de subordination logique. Ces vocables, expri¬mant des notions d'espèce soumis à la notion de genre rendue par le ter¬me d'identification, ont en réalité entre eux des distinctions trop grandes pour être qualifiés de synonymes. Ils ne sont point non plus les synonymes du tenue d'identification lui-même, vu que les mots sémantiquement subordonnés ne créent point de rapport synonymique. Ainsi les vocables fusil, épée, pistolet, canon, bombe atomique ne sont ni des synonymes entre eux, ni les synonymes du terme d'identification arme qui les englo¬be. Il s'agit ici d'un rapport hypéro-hyponymique.
Il en est de même pour vaisseau, navire, bâtiment, paquebot, car¬go, transport, transatlantique, courrier, steamer, vapeur, nef, cara¬velle, coche, cabane (vx.) bateau-mouche, steam-boat, yacht, arche qui se laissent grouper sous le terme d'identification bateau ou ruisseau, rivière, fleuve, torrent, gave, affluent dont le terme générique est cours d'eau.
La dénomination du même objet ou phénomène de la réalité n'est point non plus un critère sûr de la synonymie. En effet, des vocables très différents par leur sens peuvent désigner dans la parole le même objet, cependant ils ne deviennent pas pour autant des synonymes. Dans un certain contexte on peut nommer un chat (un chien, une personne) - « un monstre ». (« Ce monstre, il m'a volé mon poulet ! » s'écriera une ménagère furieuse contre son chat). Toutefois monstre ne sera pas un synonyme de chat.
On insiste très souvent sur l'interchangeabilité des mots comme cri¬tère de la synonymie. Au premier abord cette opinion paraît être justifiée. En effet, beaucoup de vocables qualifiés à bon droit de synonymes sont interchangeables dans la parole malgré les « nuances » de sens qui les distinguent. Dans l'usage courant nous substituons constamment joli à beau, craindre à redouter et aussi à avoir peur. On dira également finir un travail et achever un travail, de même que terminer un travail. Il est pourtant vrai que les puristes refusent d'accepter ces substitutions qu'ils qualifient de négligences et même d'erreurs. « Selon eux, dit à ce propos A. Sauvageot,... il demeure toujours un écart entre les deux signi¬fications, aussi subtil que puisse être cet écart » [7, p. 76]. Toutefois les faits de la langue nous autorisent à affirmer le contraire. A. Sauvageot mentionne les données d'une enquête effectuée en vue « de savoir si les sujets parlants font une distinction nette entre les termes ci-dessous :
mansuétude / indulgence
entier / intégral
dire / déclarer
abolir / supprimer
cultivateur / agriculteur
pied de vigne / cep de vigne
morne / triste, etc.
La plupart des intéressés, conclut-il, ont commencé par ne pas pou¬voir indiquer de distinction de sens, puis plusieurs se sont ravisés et ont proposé des nuances différentes, plus ou moins subtiles mais variables d'un locuteur à l'autre » [7, p. 78-79].
Toutefois l'interchangeabilité quoique souvent très utile dans la sélec¬tion des synonymes ne peut être considérée comme un critère absolu. Nous avons établi que le fonctionnement réel des vocables ne découlait pas toujours directement de leur contenu idéal, autrement dit de leur sens. Le « signalement » intervient parfois en marquant de son empreinte leur fonctionnement. C'est pourquoi les mots exprimant la même notion, mais ressortissant à des styles différents de la langue fonctionneront différem¬ment. Un professeur ne s'adressera point à ses élèves avec les paroles : « Vous pigez ? Grouillez-vous ! Il est 3 plombes et 10 broquilles. Je décampe becausej'ai la dent ». On ne dira pas non plus dans une con¬versation : « J'ai mal à l'abdomen ». Le halo argotique ou scientifique qui s'ajoute à la notion exprimée par ces mots en restreint l'aire d'emploi. L'emploi traditionnel des mots est aussi un obstacle à l'interchangeabilité des synonymes. Donc, l'interchangeabilité ne pourra pas être appliquée à tous les synonymes. D'autre part, ainsi que nous l'avons démontré, l'in¬terchangeabilité occasionnelle du type chat et monstre ne nous autorise point à y voir des synonymes.
C'est uniquement à partir de la faculté des vocables d'exprimer des notions identiques ou proches qu'il est possible de dégager des synonymes.
La synonymie absolue et relative. Les synonymes dont la structure sémantique soit identique et qui, par conséquent, né se distin¬guent que phonologiquement sont rares. Toutefois on constate la présence de synonymes absolus dans les différentes terminologies ce qui d'ailleurs ne contribue ni à la clarté, ni à la précision (cf. : désinence et terminaison en grammaire, phonème voisée ou sonore, voyelle labiale ou arrondie, consonne spirante, fricative ou constrictive en phonétique). La synony¬mie absolue est aussi caractéristique de l'argot qui par sa nature même favorise la création d'innovations pouvant se substituer aux anciennes for¬mations.
Généralement la synonymie n'est que relative. En effet, les synony¬mes servent à rendre nos idées, nos sentiments d'une manière plus préci¬se, plus vive et nuancée, donc à différencier. Ils reflètent les divers aspects des phénomènes réels, aspects établis par les sujets parlants au cours de leur expérience historique.
Cette destination des synonymes est surtout manifeste lorsqu'ils figu¬rent côte à côte dans l'énoncé :
Ta mère est une femme exceptionnelle. Elle mérite d'être traitée
non seulement avec respect, mais avec vénération (C. Duhamel).
Robert a aussi réussi ce tour de force : il m 'a protégé de
l'isolement sam ine priver de la solitude (S. de Beauvoir).
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Les archaïsmes dans le vocabulaire du français moder¬ne. À côté de l'enrichissement perpétuel du vocabulaire nous assistons à un processus contraire : au dépérissement de certains de ses éléments qui tendent à disparaître de l'usage.
Quoique le nombre des éléments tombant en désuétude ou, autrement dit, des archaïsmes (tiré du mot gr. arkhcrikos - « ancien ») soit infime, comparé à celui des néologismes, ces éléments vieillis présentent un cer¬tain intérêt du fait qu'ils témoignent des modifications graduelles qui se produisent dans le vocabulaire ainsi que par la place particulière qu'ils y occupent. Les archaïsmes sont des mots qui, dans toutes ou certaines de leurs acceptions en vertu de motifs différents, cessent d'être indispensa¬bles en tant que moyen de communication des hommes entre eux et finis¬sent par être évincés de l'usage courant. Les archaïsmes sont de deux types différents :
1) les archaïsmes exprimant des notions d'une valeur purement his¬torique et qui de ce fait sont en voie de disparition ; ils figurent dans le vocabulaire d'une langue en tant que mots historiques ou historismes, témoins des époques et des mœurs révolues ; tels sont dans le vocabulaire du français moderne druide, druidesse - « prêtre, prêtresse des Gaulois », escarcelle - « grande bourse pendue à la ceinture, en usage au Moyen Âge », escopette et espingole - « anciennes armes à feu » ; tels sont aussi les noms de beaucoup d'objets et de phénomènes se rapportant au régime féodal et disparus après la Révolution française du XVIIIe siècle, par exem¬ple : bailli - « officier qui rendait la justice au nom du roi ou d'un sei¬gneur », dîme - « dixième partie des récoltes, qu'on payait à l'Église ou aux seigneurs », échevin - « magistrat municipal avant 1789 », échevinage - « fonction d'échevin ; corps des échevins ; territoire administré par les échevins », sénéchal - « officier féodal qui était chef de justice », sénéchaussée - « étendue de la juridiction d'un sénéchal », taille - « im¬pôt mis autrefois sur des roturiers ». À l'époque de la Révolution françai¬se apparaissent les muscadins - « des royalistes qui cherchaient à se singulariser par leur mise extravagante » ; nommons encore des termes d'antiquité comme bacchanale - « fêtes latines en l'honneur de Bacchus », bacchante - « prêtresse de Bacchus », forum - « place où le peu¬ple s'assemblait, à Rome, pour discuter des affaires publiques », patriciat - « dignité de patrice, de patricien », patricien - « citoyen ro¬main faisant partie du patriciat, noble romain » ;
2) les archaïsmes qui sont des vocables désuets associés à des no¬tions vitales qui survivent dans la langue et qui sont rendues par d'autres vocables plus récents ou plus fortunés ; ce sont, par exemple, cuider et engeigner employés encore par La Fontaine (« Tel, comme dit Merlin. cuide engeigner autrui ») et remplacés dans le français moderne par pen¬ser et tromper : ce sont aussi couard, couardise, courre, s'éjouir, friseùr. goupil, partir, val qui ont cédé la place à poltron, poltronnerie, courir, se réjouir, coiffeur, renard, partager, vallon de même que fabrique au sens de « biens, revenus d'une église », maîtrise signifiant « autorité de maî-tre ».
Il est à remarquer qu'avant de disparaître complètement de la langue, les archaïsmes parviennent à se réfugier dans quelque locution toute faite plus ou moins courante où ils peuvent vivoter durant de longs siècles. Tels sont dans le français moderne les cas de partir dans avoir maille à partir avec qn, de courre dans chasse à courre, de val dans par monts et par vaux.
Parfois les archaïsmes se confinent dans quelque terminologie spé¬ciale ; parmi les termes de droit on trouve biens meubles où meuble est employé dans son ancienne fonction d'adjectif ; roche qui dans la langue commune cède le pas à rocher est utilisé par les géologues ; miroir, for¬tement concurrencé dans l'usage courant par glace, est recueilli par les opticiens.
30. La synonimie. Les critères de la synonimie, la synonimie relative et absolue
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Généralités. Les opinions des linguistes contemporains sur la synonymie sont fort différentes. Pour certains linguistes les vocables sont synonymes à condition d'avoir une valeur sémantique identique. Ceux-ci étant réduits au minimum, ces linguistes en arrivent à nier l'existence même de la synonymie. M. Bréal [51] affirme que la synonymie est un phéno¬mène précaire et provisoire, de courte durée qui se détruit infailliblement du fait que les mots-synonymes sont sujets à l'évolution sémantique et acquièrent, par conséquent, des acceptions distinctes.
En effet, les séries synonymiques subissent des regroupements au cours des siècles et toutefois la synonymie comme telle demeure un phé¬nomène constant de la langue.
La synonymie est un phénomène dialectique qui suppose tout à l'a fois des traits communs et des traits distinctifs. Les vocables forment des sé¬ries synonymiques à partir de leur communauté, mais leur présence dans la langue est due principalement à leur fonction différentielle
La synonymie se révèle dans la synchronie, elle est un indice du ca¬ractère systémique de langue.
Au cours de son développement historique la langue devient un ins¬trument de communication de plus en plus parfait. La richesse de la syno¬nymie, en particulier, témoigne de la richesse de la langue en entier.
§ 91. Les critères de la synonymie. En abordant le problème de la synonymie il faut avant tout préciser quels doivent être les rapports sé¬mantiques entre les mots afin qu'on puisse les qualifier de synonymes et quels sont les cas où, malgré la similitude des acceptions des mots, il n'y a point de synonymie entre eux.
Dans certains ouvrages les mots sémantiquement apparentés, réunis par le même ternie d'identification, sont qualifiés de synonymes Ce sont généralement des vocables plus ou moins voisins quant à leurs acceptions qui se trouvent en rapport de subordination logique. Ces vocables, expri¬mant des notions d'espèce soumis à la notion de genre rendue par le ter¬me d'identification, ont en réalité entre eux des distinctions trop grandes pour être qualifiés de synonymes. Ils ne sont point non plus les synonymes du tenue d'identification lui-même, vu que les mots sémantiquement subordonnés ne créent point de rapport synonymique. Ainsi les vocables fusil, épée, pistolet, canon, bombe atomique ne sont ni des synonymes entre eux, ni les synonymes du terme d'identification arme qui les englo¬be. Il s'agit ici d'un rapport hypéro-hyponymique.
Il en est de même pour vaisseau, navire, bâtiment, paquebot, car¬go, transport, transatlantique, courrier, steamer, vapeur, nef, cara¬velle, coche, cabane (vx.) bateau-mouche, steam-boat, yacht, arche qui se laissent grouper sous le terme d'identification bateau ou ruisseau, rivière, fleuve, torrent, gave, affluent dont le terme générique est cours d'eau.
La dénomination du même objet ou phénomène de la réalité n'est point non plus un critère sûr de la synonymie. En effet, des vocables très différents par leur sens peuvent désigner dans la parole le même objet, cependant ils ne deviennent pas pour autant des synonymes. Dans un certain contexte on peut nommer un chat (un chien, une personne) - « un monstre ». (« Ce monstre, il m'a volé mon poulet ! » s'écriera une ménagère furieuse contre son chat). Toutefois monstre ne sera pas un synonyme de chat.
On insiste très souvent sur l'interchangeabilité des mots comme cri¬tère de la synonymie. Au premier abord cette opinion paraît être justifiée. En effet, beaucoup de vocables qualifiés à bon droit de synonymes sont interchangeables dans la parole malgré les « nuances » de sens qui les distinguent. Dans l'usage courant nous substituons constamment joli à beau, craindre à redouter et aussi à avoir peur. On dira également finir un travail et achever un travail, de même que terminer un travail. Il est pourtant vrai que les puristes refusent d'accepter ces substitutions qu'ils qualifient de négligences et même d'erreurs. « Selon eux, dit à ce propos A. Sauvageot,... il demeure toujours un écart entre les deux signi¬fications, aussi subtil que puisse être cet écart » [7, p. 76]. Toutefois les faits de la langue nous autorisent à affirmer le contraire. A. Sauvageot mentionne les données d'une enquête effectuée en vue « de savoir si les sujets parlants font une distinction nette entre les termes ci-dessous :
mansuétude / indulgence
entier / intégral
dire / déclarer
abolir / supprimer
cultivateur / agriculteur
pied de vigne / cep de vigne
morne / triste, etc.
La plupart des intéressés, conclut-il, ont commencé par ne pas pou¬voir indiquer de distinction de sens, puis plusieurs se sont ravisés et ont proposé des nuances différentes, plus ou moins subtiles mais variables d'un locuteur à l'autre » [7, p. 78-79].
Toutefois l'interchangeabilité quoique souvent très utile dans la sélec¬tion des synonymes ne peut être considérée comme un critère absolu. Nous avons établi que le fonctionnement réel des vocables ne découlait pas toujours directement de leur contenu idéal, autrement dit de leur sens. Le « signalement » intervient parfois en marquant de son empreinte leur fonctionnement. C'est pourquoi les mots exprimant la même notion, mais ressortissant à des styles différents de la langue fonctionneront différem¬ment. Un professeur ne s'adressera point à ses élèves avec les paroles : « Vous pigez ? Grouillez-vous ! Il est 3 plombes et 10 broquilles. Je décampe becausej'ai la dent ». On ne dira pas non plus dans une con¬versation : « J'ai mal à l'abdomen ». Le halo argotique ou scientifique qui s'ajoute à la notion exprimée par ces mots en restreint l'aire d'emploi. L'emploi traditionnel des mots est aussi un obstacle à l'interchangeabilité des synonymes. Donc, l'interchangeabilité ne pourra pas être appliquée à tous les synonymes. D'autre part, ainsi que nous l'avons démontré, l'in¬terchangeabilité occasionnelle du type chat et monstre ne nous autorise point à y voir des synonymes.
C'est uniquement à partir de la faculté des vocables d'exprimer des notions identiques ou proches qu'il est possible de dégager des synonymes.
La synonymie absolue et relative. Les synonymes dont la structure sémantique soit identique et qui, par conséquent, né se distin¬guent que phonologiquement sont rares. Toutefois on constate la présence de synonymes absolus dans les différentes terminologies ce qui d'ailleurs ne contribue ni à la clarté, ni à la précision (cf. : désinence et terminaison en grammaire, phonème voisée ou sonore, voyelle labiale ou arrondie, consonne spirante, fricative ou constrictive en phonétique). La synony¬mie absolue est aussi caractéristique de l'argot qui par sa nature même favorise la création d'innovations pouvant se substituer aux anciennes for¬mations.
Généralement la synonymie n'est que relative. En effet, les synony¬mes servent à rendre nos idées, nos sentiments d'une manière plus préci¬se, plus vive et nuancée, donc à différencier. Ils reflètent les divers aspects des phénomènes réels, aspects établis par les sujets parlants au cours de leur expérience historique.
Cette destination des synonymes est surtout manifeste lorsqu'ils figu¬rent côte à côte dans l'énoncé :
Ta mère est une femme exceptionnelle. Elle mérite d'être traitée
non seulement avec respect, mais avec vénération (C. Duhamel).
Robert a aussi réussi ce tour de force : il m 'a protégé de
l'isolement sam ine priver de la solitude (S. de Beauvoir).